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Journal

D'Acapulco à Clipperton et aux Revillagigedo

(Pacifique nord-oriental) du 18 novembre au 3 décembre 1997

"Expédition océanographique SURPACLIP " Mission mexicano - française
Journal de Christian H. JOST

SURPACLIP, c'est ainsi que s'appelle cette expédition océanographique sur l'atoll français de Clipperton , mission mexicaine historique, puisque la première depuis 1917, année où l'on retrouva les derniers survivants de la garnison mexicaine, les " Oubliés de Clipperton ". La mission, avec votre humble narrateur pour seul français à bord du El Puma , navire océanographique mexicain de l' Universidad Nacional Autonoma de Mexico, devient donc officiellement mexicano-française...

Au départ du port d'Acapulco, El Puma nous bercera, plus ou moins bien mais toujours par bon et beau temps quasi permanent, pendant trois semaines, tout d'abord vers Clipperton, ou île de la Passion, puis vers l'île Socorro ( île du Secours ) de l'archipel mexicain des Revillagigedo et enfin à son port d'attache de la ville de Mazatlan.

Vendredi 21 novembre 1997

Nous filons à 12 noeuds droit vers cette île presque mythique de Clipperton où s'effectuera, si les conditions sont bonnes, notre premier débarquement. C'est, comme le disent mes collègues mexicains, une mission historique mexicaine et française, une première autant pour eux que pour moi. Le dernier scientifique français à avoir débarquer sur Clipperton était Jacques-Yves COUSTEAU en 1980. Cela fait aujourd'hui 17 ans ! ... Certes il y a des visites occasionnelles de la marine française qui, de Tahiti, vient assurer notre présence pendant quelques heures. Mais leurs débarquements, attestés par les plaques que les militaires scellent parfois et les drapeaux qu'ils renouvellent, ne sont actuellement que des visites sans étude particulière de l'atoll. La dernière visite en 9 mars, 2010 Prairial ", remonte au 27 octobre 1997.

Officiellement possession française depuis 1931, date à laquelle le roi d'Italie Victor Emmanuel III, arbitre pour la Cour de La Haye du litige franco-mexicain sur la souveraineté de l'île, attribua Clipperton à la France, elle connut une histoire tragique jalonnée de naufrages, "d'oubliés" et de meurtres. Clipperton a été aperçu par plus d'un capitaine, dont le premier, le pirate Clipperton lui donna son nom; mais son accès dangereux, à la rencontre des courants marins et dans une zone de formation de cyclones, fait que ceux qui y ont posé le pied sont bien peu nombreux.

L'échosondeur émet son " twiit " caractéristique que l'on entend bien dans les cabines du pont inférieur, mais auquel on s'habitue comme à un compagnon de travail; seul lien, d'ondes ténues, nous reliant, si l'on peut dire, à la terre, celle des grands abysses, dans ce monde immense d'eau. Sous nos pieds... 3800m d'eau avant de toucher le fond dont on a extrait aujourd'hui une boue brun-rouge, les fameuses argiles des grands fonds. Ces sédiments, qui nous retracent l'histoire de l'érosion des terres émergées, sont tapissés dans certains secteurs de nodules et concrétions polymétalliques, richesse minière et enjeu du futur !

La mer est calme depuis trois jours et le ciel ensoleillé n'a présenté que quelques cumulus de beau temps. Pourtant, ceux-ci s'étiraient hier en des bancs virant loin vers l'ouest en ce que nous venions d'apprendre être une spirale bien dangereuse, centrée ... Oui ! sur l'île de Clipperton ! El Puma a en effet reçu dans la journée par télécopie depuis le Hurricane Center de Miami, les données et la photo d'une dépression tropicale forte évoluant en cyclone dont l'œil était centré à quelques encablures au SE de l'atoll, sur lequel nous avancions tout droit...

.....

El Puma a quitté le port d'Acapulco le 18 novembre à 6h00 du matin, pour s'arrêter un mille plus loin au sortir de la célèbre baie, pour un premier sondage, comme pour nous permettre de mieux admirer le spectacle. Nous étions alors comme des acteurs sur une scène découvrant lentement, au gré des caresses des projecteurs, rayons de soleil franchissant la crête, l'allumage progressif de l'amphithéâtre de la baie. Quelques minutes plus tôt nous en parvenaient des milliers de lumières scintillantes comme autant de flammes tenues par des spectateurs anonymes... la Ville.

Le lever de soleil sur cette baie en forme d'arbre, plongeant ses racines dans l'océan, a fait jaillir les buildings du rivage et éclater les lumières de la nuit en une myriade de points blancs qui se transformaient peu à peu en petites habitations accrochées sur les pentes parfois vertigineuses ceinturant la baie.

Les équipes de travail formées la veille se succèdent pour les sondages et les prélèvements de 4h à midi, de midi à 20h pour l'équipe dont je fais partie, puis une de 20h à 4h. Une fois le plateau continental laissé à la côte, les sondages profonds nous laissent beaucoup plus de temps libre. Un prélèvement de sédiments à 3000m de fond prend près de 3 heures entre la descente et la récupération du godet (Reineck) de sédiments. Un autre type de prélèvements est fait au CTD : T°, salinité de l'eau et oxygène sont enregistrés en continu au fil de la descente d'un appareil flanqué de bouteilles en PVC qui recueillent l'eau à différentes profondeurs prédéterminées. Les valeurs s'inscrivent instantanément sur l'écran d'un ordinateur en trois courbes qui se dessinent au fur et à mesure de la descente.

Dix-neuf chercheurs mexicains de Mexico, La Paz, Veracruz et ailleurs sont en attente des données des prélèvements qui seront faits tout au long de la croisière. La "Doctora Viviane", Chef de l'expédition, dirige son monde avec souplesse et efficacité en mettant la main à la pâte (de boue) comme tout le monde. Biologistes, spécialistes des crustacés, des mollusques, des polychètes (vers marins), du zooplancton, chimistes, physiciens et un géologue forment cette équipe pluridisciplinaire rodée à ce type d'opération dont le géographe physicien de service apprend aussi vite qu'il peut le maniement des appareils. Au total, 47 sondages sont prévus. Certains seront des échecs, soit parce que la porte du "godet" ne s'est pas fermée pour emprisonner les sédiments une fois celui-ci enfoncé pour une raison mécanique à identifier, soit parce que le fond océanique est un talus en pente forte et que le godet bascule avant d'avoir pu pénétrer les sédiments; soit, pour le CTD, parce que le système électronique de mesure de l'oxygène est défaillant et à changer, soit un couvercle de bouteille qui s'est mal fermé; mais rapidement tout est opérationnel et de nouveaux sondages peuvent être faits. Un sondage défaillant par 3500m de fond, c'est 3-4h de perdues pour tout le monde.

Nous ferons 20 sondages jusqu'à Clipperton dont 6 dans la Zone Economique Exclusive française avec 4 prélèvements de sédiments entre 3500 et 4000m de profondeur. L'Ambassade de France à Mexico m'a donné carte blanche pour autoriser ou non les prélèvements et sondages dans la zone française. Nous ferons 6 prélèvements et mesures de l'eau de mer et 4 prélèvements de sédiments qui s'avéreront particulièrement riches en nodules polymétalliques, tandis que les fonds des eaux mexicaines et des eaux internationales ne révéleront pratiquement pas de nodules. La couleur des boues extrêmement fines varie du brun-rouge dans la zone de Clipperton au brun-vert près du golfe de Californie. Les retirer du nucléador (carotteur) gèle les mains car leur température est de 2°C tandis que l'air ambiant ET la surface de l'océan sont à 30°C ! Dans cette région les fonds abyssaux sont parcourus par un courant arctique riche en oxygène qui favorise l'oxydation des concrétions polymétalliques roulées sur le fond.

Une habitude lors de ces missions de sondages profonds est pour mes amis d'envoyer par 4000m de fond des gobelets en polystyrène expansé décorés à la main et enfermés dans des filets que l'on accroche au câble du "nucléador". Ils reviennent complètement nanifiés, réduits à 2cm de hauteur par l'extraordinaire pression de l'eau à ces profondeurs. Cadeau original pour les amis.

•  " L'entrée en France "

C'est le 21 novembre dans la soirée que nous approchons de la ligne séparant les eaux internationales des eaux françaises. Je surveille les écrans des ordinateurs qui affichent en continu les coordonnées géographiques de la position du navire. J'avais au préalable tracé sur la carte le cercle des 200 miles nautiques délimitant virtuellement cette zone.... 107°05W... 107°10W... 107°15W... Ca y est ! Nous sommes ... en France ! Sentiment bien étrange au milieu de ce Pacifique nord oriental ! Respectant nos traditions de bienvenue, j'invite tout le monde sur le pont où je les reçois avec foie gras et champagne apportés pour l'occasion et ... je sabre le champagne à la machette en criant un "Bienvenudo amigos en Francia !" Ces quelques gorgées plus symboliques que désaltérantes furent grandement appréciées et mes amis mexicains m'informèrent que bien qu'ayant fait de nombreuses missions en terre et mer étrangères, c'était bien la première fois qu'on leur souhaitait la bienvenue en entrant dans le pays. Je renouvellerai quelques jours plus tard la cérémonie avec vins français et confit de canard au sortir de la ZEE française. J'avais fait de bonnes et heureuses provisions à Nouméa...

J'eus d'ailleurs une autre occasion, peu avant le débarquement sur Clipperton de me découvrir « patriote ». Ce fut d'ailleurs assez cocasse. En effet lors des échanges et réunions préparatoires au débarquement, mes amis mexicains me montrèrent un drapeau mexicain qu'ils m'ont dit vouloir planter le lendemain sur l'île "pour la photo" voulant rappeler par là que cette terre fut un temps mexicaine. Ne pouvant laisser faire cela, autrement dit, que le seul français de l'expédition soit "phagocyté" par le groupe sous le drapeau mexicain, je cherchais désespérément, à mon retour en cabine, de quoi confectionner un drapeau français de fortune pour qu'au moins, même petit, celui-ci soit présent lors de cette photo qui risquait de devenir historique. Je pensais bien à mon short bleu, à un tee-shirt blanc et à ma casquette rouge mais cela était insuffisant. Je trouvais par chance la solution dans les deux seuls dossiers plastifiés que j'avais emportés avec les données et illustrations de mes conférences à venir à Mexico. J'en arrachai sans hésitation les couvertures d'un beau bleu France et d'un rouge vif éclatant. Il fallait aussi les protéger de la pluie car je voulais que mon drapeau reste en place. J'ignorais alors l'existence sur l'île des deux belles bannières renouvelées chaque année par les frégates de surveillance. Pour le blanc, je pris deux photocopies A3 de la carte de Clipperton et de la région (cartes que j'avais d'ailleurs faites venir de France à grands frais par DHL peu avant mon départ de Nouméa), y inscrivis le nom et la date de l'expédition ainsi que le nom des responsables scientifiques des deux pays et les plaçais dans deux pochettes de plastique transparent. Enfin pour relier le tout, je sortis le nécessaire de couture que fournissent les grands hôtels et entrepris de coudre les trois feuilles plastique ensembles. Cela me prit une certaine partie de la nuit ... mais, au matin, mon drapeau était prêt, beau et résistant, à l'épreuve des premières pluies.

La fin de l'histoire est que je n'eus pas à dérouler mon drapeau sur l'île car, le matin, la Doctora Vivianne vint me raconter la blague qu'ils m'avaient faite, d'emprunter le drapeau mexicain de bord et de venir m'annoncer la cérémonie photo prévue sur l'île... Ce drapeau trône actuellement au mur du Laboratoire d'Ecologie Marine de l'Institut de la Mer de Mexico en souvenir de ce moment et de cette collaboration scientifique fructueuse et amicale. On en rit encore

Suite 2 : Clipperton : Le spectacle

 





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